Les métiers créatifs, c’est comme la guerre.
Si tu parles avec des soldats qui ont l’expérience du combat, ils vont certainement tous te dire la même chose :
La guerre, c’est des heures et des journées très calmes à se morfondre, à attendre, planqué dans un trou ou dans un campement, entrecoupées d’instants très courts qui sont, eux, d’une intensité hallucinante avec des balles qui sifflent, des morts partout, des hélicoptères qui balancent des munitions…
Et puis encore des heures et des journées de calme plat, parfois même d’ennui profond. Et, à nouveau, un instant extrêmement court, d’une intensité que peu de gens ont vécu dans leur vie. Et puis le calme plat, encore. Et ainsi de suite.
La guerre, ce n’est pas comme dans les films : les moments intenses, les moments où ça pétarade vraiment, c’est moins de 1 % du temps.
Et l’intensité de ces 1 % dénote tellement avec le calme des journées passées à attendre planqué dans un trou, que ça fait souvent dire à ceux qui l’ont vécu que la guerre est avant tout une histoire de contraste.
Je n’ai jamais fait la guerre, mais mon père encore à son âge, traîne des séquelles psychologiques de celle à laquelle on l’a forcé à participer quand il était jeune. Et des histoires de combat, j’ai passé mon enfance et mon adolescence à en entendre.
Quand j’ai grandi et que j’ai démarré un métier créatif, j’ai tout de suite fait le lien avec son expérience :
On vit plus ou moins les mêmes journées et les mêmes semaines que celles d’un soldat sur une zone de guerre : les moments où l’on crée sont rares, mais ils sont d’une intensité que la plupart des salariés n’ont jamais expérimentée dans leur vie professionnelle.
Mais la plupart de nos heures, on les passe pourtant dans le calme, sans rien créer. Parce qu’il est indispensable pour nous de passer beaucoup plus de temps à lire et à penser qu’à écrire ou à s’enregistrer.
Par contre, les instants où l’on crée sont extrêmement intenses. On peut enregistrer une formation complète d’une traite en 90 minutes, écrire le brouillon de trois chapitres à la suite en une heure, ou bien lister 90 idées de sujets sur un cahier en 20 minutes.
C’est une expérience étrangère à la vie de la plupart salariés, pour qui travailler de cette manière serait une énorme erreur, puisqu’en montrant à leur patron ou à leur manager qu’ils sont capables d’une telle intensité, il se pourrait bien que l’on continue à l’exiger d’eux tous les jours…
Mais ces instants intenses ne sont possibles que si l’on passe la plupart du temps à faire autre chose : prendre le temps d’aller se promener pour faire décanter des idées, lire beaucoup plus que la plupart des gens, échanger avec d’autres créateurs, penser…
En d’autres termes, 99 % du travail de création se fait dans la tête, AVANT de sortir sa caméra ou son clavier. Et c’est ce travail-là qui occupe l’extrême majorité de notre temps.
De la même façon qu’un combat intense de 15 minutes est déclenché par une embuscade qui aura peut-être duré 36 heures et pendant laquelle les soldats regardaient l’herbe pousser, allongés dans un fossé, les sprints de création sont rendus possibles par ces longues heures passées loin de l’ordinateur.
Beaucoup de créateurs qui débutent et qui ont une longue expérience du salariat derrière eux ont du mal à comprendre que c’est comme ça que les métiers créatifs fonctionnent.
Ils sont encore formatés par leurs habitudes de salarié et ont beaucoup de mal à saisir que la différence d’approche est aussi extrême.
Avant de se lancer, certains pensaient même que le métier de créateur consistait juste à travailler un certain nombre d’heures tous les jours. Et que plus on travaillait longtemps, plus on pouvait créer de contenus.
Mais est-ce que quelqu’un, quelque part dans le monde, est vraiment capable de filmer 7 heures de vidéos YouTube d’affilée par jour, du lundi au vendredi, tous les jours de l’année, en prenant juste une pause pour le déjeuner ?
Est-ce que quelqu’un, quelque part dans le monde, est vraiment capable d’enregistrer 35 heures de formation par semaine, toutes les semaines ?
Dans nos métiers, le rapport au temps n’a rien à voir avec celui qu’on a quand on est salarié.
Parce qu’un créateur qui enregistre deux heures de formation par semaine et qui continue à le faire systématiquement pendant plusieurs années, c’est déjà extrêmement rare.
Publier une vidéo de 10 minutes tous les jours, sans faute, pendant un an, c’est aussi une chose que ne parvient à faire qu’une toute petite minorité seulement des créateurs, même parmi ceux qui se filment sans faire de montage.
Parce que, encore une fois, les instants où l’on crée sont extrêmement rares. Ils représentent souvent moins de 5 % de notre temps de travail ; parfois moins de 1 %.
Mais ces moments-là sont plus intenses que ceux que la plupart des salariés n’ont jamais vécus dans leur expérience professionnelle. Tellement intenses qu’il est physiquement impossible de les prolonger pendant une journée entière…
C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les méthodes de gestion du temps sont inutiles dans un métier créatif. Parce que le problème n’est jamais le temps : tout le monde peut trouver 10 minutes dans une journée pour enregistrer une vidéo.
Le vrai problème, c’est de savoir gérer son énergie, son inspiration, l’envie de s’y mettre…
Mais le temps, jamais.
À moins qu’on ait gardé une approche du travail inspirée du salariat. Et si c’est le cas, il est temps de se rendre compte que ce métier demande de faire exactement l’inverse.
📷 La photo du jour :
Encore une journée d'écriture sur la terrasse...
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